Histoire du Château d'Isle-sur-Marne, Sophie Volland et Denis Diderot-The Castle of Isle-sur-Marne: its history

Publié par martinejane51

Bonjour,

Aujourd'hui, je souhaite vous présenter un document très intéressant.

M Bernard Jacobé de Goncourt, qui  fut propriétaire du château d'Isle-sur-Marne, avait retracé l'histoire de ce domaine. Il m'a remis ces pages quand il quitta le village, après avoir cédé la propriété à un médecin parisien. Il faut savoir que ce château a appartenu à la famille Volland et que Sophie Volland fut la muse de Denis Diderot...

Je vous invite à découvrir cette histoire :

Histoire du château d'Isle-sur-Marne
retracée par Monsieur Bernard Jacobé de Goncourt (env. 1990)
Situé au coeur du bocage champenois, à deux lieues et demie au levant de Vitry-le-François, selon un chroniqueur de 1878, entouré d'arbres qui l'isolent et le masquent à la vue, dans un parc d'agrément de six hectares, en retrait de la route de plusieurs centaines de mètres, le château d'Isle-sur-Marne a été à sa façon, pour sa petite histoire, depuis son origine, un témoin de certains moments de l'histoire du pays.


La date de sa construction sous son aspect actuel, que l'on situe généralement entre 1720 et 1740,n'a jamais pu être établie avec précision. Seule une inscription gravée sur la première pierre de la pile du pont, mentionne la date de 1732 et le nom d'Anne-Elisabeth Volland. Mais cette date aurait plus rapport à la date de construction du pont lui-même qu'à celle du château.


Avant cette construction, un château existait déjà au même emplacement, bâti selon les traditions du pays, en pans de bois et torchis. La tradition orale veut qu'Anne-Elisabeth Brunel de la Carlière ait été, avant de devenir Madame Volland, une des maîtresses du Roi Soleil. Celui-ci, se lassant de cette liaison, aurait alors procédé comme à l'accoutumée en pareil cas : il dotait richement sa maîtresse, lui permettant de s'établir en province et de se marier avec un
membre de la noblesse locale. C'est ce que fit Anne-Elisabeth Brunel de la Carlière, fille d'un
premier médecin du duc de Berry.


Elle épousa Jean-Robert Volland, fils d'un écuyer, secrétaire du roi. Ce titre avait conféré à son père la Noblesse, mais il avait dû toutefois en monnayer le droit. Avocat au Parlement de Paris, Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Latran, portant la croix de Comte de Palatinat, Jean-Robert Volland racheta en 1720 le fief d'Isle-sur-Marne et son château probablement en torchis. Le plus ancien témoignage de l'existence de ce dernier remonte à 1614. Mais en revanche, des documents remontant à plus d'un siècle auparavant, en 1499, prouvent que le fief d'Isle-sur-Marne existait déjà.
Avant 1400, un certain Jean d'Isle en avait été le seigneur. En 1499, c'était la famille de Sommyèvre qui en était propriétaire. Elle le resta jusqu'en 1690. A cette date, la propriété changea de nom, bien qu'elle soit restée dans la famille. Et ce n'est qu'en 1713, que Félicien de Famiers, fils de Catherine de Sommyèvre, épouse séparée de biens de Charles de Famiers, vendit le fief à un dénommé Antoine Aubry d'Arrency qui lui-même le céda à Jean-Robert Volland en 1720.


Selon certains documents de l'époque, le château, avant sa reconstruction vers 1720-1740, comportait tours et tourelles, poterne et pont-levis. Il était complété par une ferme avec des étables, des écuries, des granges et ainsi qu'un colombier qui existe encore aujourd'hui. Un fossé rempli d'eau entourait le château ainsi que des « rionards », les bras secondaires que la Marne abandonnait au hasard de ses fréquents changements de lit. Probablement grâce à la dot de son épouse, Jean-Robert Volland entreprit de reconstruire le château. De récents travaux au château ont permis de découvrir que les murs ainsi construits étaient composés pour deux tiers de pierres de Chaumont, et pour un tiers de briques à l'extérieur. Il entreprit également de redessiner le parc d'agrément donnant sur ses allées, un dessin géométrique en étoile au centre de laquelle des perspectives de plusieurs centaines de mètres étaient possibles dans huit directions.


Deux séjours de Diderot
En 1739, Jean-Robert Volland fut nommé directeur général du fournissement des gabelles de Franc et obtint le monopole des salines de Brouage. Diderot fit deux brefs séjours dans le château à cette époque où la famille Volland en était propriétaire. La fille de Jean-Robert, Sophie, était alors en effet la maîtresse de l'écrivain. Leur première rencontre datait de 1755 alors que Sophie avait 39 ans. L'amour de Diderot pour elle fût sans doute plus inspiré par son intelligence et sa vivacité d'esprit que par sa beauté. On la décrit fréquemment, en effet, comme étant une demi-vieille, fille plutôt laide, maigre et portant des lunettes. Elle n'en fût pas moins le grand amour de la vie de Diderot. C'est à son contact qu'il mûrit nombre de ses ouvrages, dont ceux comportant ses théories sur le déterminisme et le fatalisme. Diderot avait alors 42 ans.


Mais dans ses nombreuses lettres à Sophie Volland, dans lesquelles on peut lire l'histoire de la décennie, on pourra s'apercevoir d'une ouverture de sa pensée vers des domaines jusqu'alors étrangers à lui (l'économie) et d'une complexité accrue de ses motifs d'intérêt. Son premier séjour à Isle-sur-Marne fut assez bref, au mois d'août 1759. Il s'y était rendu en revenant de Langres, d'où il était natif, et où il était allé en compagnie de son frère et de sa soeur, régler la succession de son père, riche coutelier de la ville. Il s'est arrêté au château des Volland dans l'espoir de rencontrer Sophie. La mère de Sophie qui voyait d'un très mauvais œil la liaison de sa fille avec l'écrivain, la soustrayait à son contact en lui faisant passer à Isle-sur-Marne près de six mois de l'année. Voici la description de la propriété que Diderot en donne dans la lettre qu'il écrivit alors à Sophie : « Les chariots de foin et de grains rentraient et cela me plaisait encore. Oh, je suis un rustre et je m'en fais honneur. De là, nous avons fait un tour de jardin que je trouvais petit ; cette porte qui en est à l'extrémité et en face du salon me trompait. Je ne savais pas qu'elle s'ouvrait dans les Vordes, et que ces Vordes en étaient. Nous avons passé les deux ponts. »


« J'ai encore salué la Marne, ma compatriote et fidèle compagne de voyage. Ces Vordes me charment, c'est là que j'habiterais, c'est là que je rêverais, que je sentirais doucement, que je dirais tendrement, que j'aimerais bien... » « Le sauvage de ces Vordes et de tous les lieux que la nature a plantés est d'un sublime que la main des hommes rend jolis quand elle y touche. Venez, il ne vous faut plus qu'un moment dans ce lieu solitaire pour concevoir que l'être éternel qui anime la nature qui est autour de vous, s'il est, est bon et se soucie bien plus de la pureté de notre âme que de la vérité de nos opinions. Que lui importe ce que nous pensons de lui, pourvu qu'à nous voir agir, il nous reconnaisse pour ses imitateurs et ses enfants. » Les Vordes dont il est question dans la missive désignent en dialecte local, les bois de saules dont la propriété était plantée. Ce ne fut que plus récemment que des peupliers, qui n'existaient pas du
 temps de Diderot, furent plantés.


Diderot fît une deuxième halte à Isle-sur-Marne, beaucoup plus tard, en 1770, en revenant de Bourbonne-les-bains, où il avait rendu visite à madame de Maux, sa maîtresse qui succéda à Sophie Volland. Cette visite eu lieu trois ans avant que la propriété ne soit revendue par la famille Volland à un certain Nicolas Paillot, qui la renvendit lui-même en 1820 à Judith Royer. Les héritiers de Judith Royer cédèrent ensuite la propriété à un riche propriétaire d'Evry : monsieur Chauvel. Le château changea encore de mains en 1893, date où il fut acheté par madame Louis Jacobé de Goncourt, arrière-grand-mère de monsieur Bernard Jacobé de Goncourt.

Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland
Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland
Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland
Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland
Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland

Château d'Isle-sur-Marne, Denis Diderot et Sophie Volland

Château d'Isle-sur-Marne, ancien pigeonnier

Château d'Isle-sur-Marne, ancien pigeonnier

Histoire du Château d'Isle-sur-Marne, Sophie Volland et Denis Diderot-The Castle of Isle-sur-Marne: its history
Histoire du Château d'Isle-sur-Marne, Sophie Volland et Denis Diderot-The Castle of Isle-sur-Marne: its history

Extrait du texte de Michel Corday
La Vie amoureuse de Diderot
Biographie (p. 35...37).
« […] Il [Diderot] se représente d’autant mieux Sophie au château d’Isle qu’il le connaît. Il s’y est arrêté l’année précédente à son retour de Langres, afin de prendre au passage
Mme Volland. Je rappelle que ce château existe encore. Je l’ai vu, dans la mélancolie
d’un automne prématuré, par un jour de bruine, sous un ciel dépoli. Au bord de la plaine
unie, semée de boqueteaux, où serpente la Marne, il apparaît de loin, encadré d’arbres
plus hauts que lui, simple et charmant sous sa robe grise.Une avenue de feuillage conduit jusqu’à la grille. Elle franchit sur un petit pont de grès le fossé dont les eaux verdies entourent le château. Sur la première pierre de ce pont, qui fut posée en 1732 par Mme Volland, son nom et cette date sont sculptés. Je n’ai pas su les découvrir parmi bien d’autres noms, bien d’autres dates, gravés vers la même époque, et qui restent très lisibles. C’est à cet endroit que Diderot, bien incertain de l’accueil que lui
réserverait Mme Volland, descendit de voiture. Il écrit à Sophie, restée à Paris : « Que lui dirai-je ? Que me dira-t-elle ? Le cœur me bat bien fort. » Il aperçoit Mme Volland. « Il était à peu près six heures lorsque la chaise est entrée dans l’avenue. J’ai fait arrêter ; je suis descendu, je suis allé au-devant d’elle les bras ouverts ; elle m’a reçu comme vous savez qu’elle reçoit ceux qu’elle aime de voir ; nous avons causé un petit moment d’un discours fort interrompu, comme il arrive toujours en pareil cas. »
À droite de l’ample cour gazonnée, au delà de deux piliers de porte d’une touchante
vétusté, s’étendent les bâtiments de la ferme, que Diderot a visités aussi : « La grange, et les basses-cours, et la vinée, et le pressoir, et les bergeries, et les écuries. J’ai marqué beaucoup de plaisir à voir tous ces endroits, parce que j’en avais, parce qu’ils m’intéressent. » Coiffée d’ardoise, précédée d’un bref perron, la façade du château est tout unie. Seules, des guirlandes de pierre, sobrement sculptées, sont suspendues sous les hautes fenêtres, à l’unique étage. La face opposée regarde le parc. Il est vénérable. Les plus vieilles gens du pays ont toujours vu ces tilleuls noués et tordus par l’âge, ces statues que le temps grignote dans la solitude de ronds-points reculés. Mais Diderot et Sophie Volland les ont-ils vus ? Au loin, près de la Marne, frissonnent toujours les Vordes, ces bouquets de peupliers qui enchantaient Diderot : « Ces Vordes me charment ; c’est là que j’habiterais ; c’est là que je rêverais, que je sentirais doucement, que je dirais tendrement, que j’aimerais bien… » Chose singulière, dans tout ce paysage, la Marne seule a changé. Son lit se déplace. La rivière s’avance et gagne sur l’ancien domaine de la famille Volland. En l’absence des propriétaires actuels, le logis même était fermé, lors de notre visite. Cela valait peut-être mieux. Nous pouvions imaginer que l’intérieur est resté tel que Diderot l’a décrit, que le grand salon a conservé ses « boisures simples" et ses trumeaux naïfs. Et derrière ces portes et ces persiennes closes, dans ce château de la Belle-au-Bois-dormant, nous pouvions imaginer que reposait toujours Sophie Volland, ange de douceur et démon d’esprit. […] »

Pages (41...42)

Et ces stances égales qui s'élèvent ainsi chaque année, forment à travers le temps comme un long cantique d'amour. Ce n'est, naturellement, qu'une suite de variations sur la même phrase : « Je vous aime. » Pour l'évoquer ici, le mieux est d'en détacher quelques-unes :

« Combien je vous aimerais, si je pouvais vous aimer davantage. »  « Je vous aime tous les jours, et je ne distingue que celui où je me  crois le plus aimé. »
« Ce n'est donc pas assez de vous aimer ; il faut vous le dire. Eh bien, je vous le dis. Entendez-vous ? Je vous aime, je vous aime de tout mon cœur et je n'aimerai jamais que vous. »

« Vous serez mon amie, mon unique amie, tant que je vivrai » « Tout peut s'altérer au monde ; tout, sans vous excepter ; tout, sauf la passion que j'ai pour vous. » 

"Rien ne séparera nos deux âmes. Cela s'est dit, écrit, juré si souvent ! Que cela soit vrai, du moins une fois. » « Quand serai-je donc délivré de toute autre occupation que celle de vous plaire ? Jamais, jamais. Je mourrai sans avoir pu vous apprendre combien je sais aimer. »

« Connaissez-vous la centième partie de ma passion ? C'est moi seul qui sais combien je vous aime. Vous l'ignorez et l'ignorerez toujours. „ Ah ! mon amie, l'amour et l'amitié ne sont pas pour moi ce qu'ils sont pour le reste des hommes. Quand je me suis dit une fois dans mon cœur, je suis son amant, je suis son ami, je vous effraierais peut-être si je vous disais tout ce que je me suis dit en même temps."

"Parfois, il semble que le temps même fortifie sa passion."Je vous l'ai dit souvent et, plus je vais, mieux je sens que je vous l'ai bien dit : il n'y a et il n'y aura jamais qu'une femme au monde pour moi."

"Je vous aime tous les jours de plus en plus, de toutes sortes de vertus que je vous découvre. Le temps, qui dépare les autres, vous embellit." "Le temps n'a fait qu'accroître ma tendresse; c'est qu'elle est fondée sur des qualités dont j'ai senti la réalité et la valeur de jour en jour."

Chaque année, il atteste qu'il l'aime comme au premier jour, qu'elle lui manque et qu'il l'attend comme à la première séparation. Au bout de douze ans, à la veille du retour, il lui écrit : " C'est comme le premier jour et, quand nous nous verrons, ce sera comme la première fois." Et quand il part pour la Russie, en 1773, c'est à dire après dix-sept ans de tendresse, il écrit à Sophie, de La Haye : " Vous me serez aussi chère sous le pôle."

 

Histoire du Château d'Isle-sur-Marne, Sophie Volland et Denis Diderot-The Castle of Isle-sur-Marne: its history

Notons, toutefois, que M. Bernard Jacobé de Goncourt nous précise que les Vordes désignent les bois de saules, alors que Michel Corday nous parle de bouquets de peupliers qui enchantaient Diderot...

 

Et, pour ceux qui sont passionnés par Denis Diderot, sachez que vous pouvez séjourner dans ce château du XVIII ème qui fut si cher au philosophe...

Merci pour votre visite,

A bientôt

 

Peupleraie

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